Article rédigé par Karl Derisson sur chroniquedisney.fr
En 1932, l’éditeur Mario Nerbini fonde avec l’accord de Walt et Roy Disney l’hebdomadaire italien Topolino. Avec l’apparition de la revue, l’Italie devient alors avec les États-Unis, la France ou les Pays-Bas l’un des centres de gravité de la bande dessinée Disney. Suspendu pendant la Seconde Guerre mondiale, le magazine reprend du service en 1946 et devient l’un des titres de presse les plus vendus en Europe. Dans ses pages, les plus grands auteurs de comics italiens se sont succédés parmi lesquels des artistes aussi illustres que Giove Toppi, Federico Pedrocchi, Guido Martina, Romano Scarpa, Luciano Bottaro, Giovan Battista Carpi, Giorgio Cavazzano, Pier Lorenzo, Massimo De Vita…
Né à Naples le 4 avril 1966, Fabrizio Petrossi rejoint à son tour les équipes de Disney en 1992 et commence à publier ses histoires dans Topolino et d’autres magazines italiens. Intégrant le service Merchandising et Publishing de Disney à Paris de 1995 à 2003, il est également devenu formateur auprès de nouveaux dessinateurs de l’entreprise recrutés à Tokyo, Barcelone, Madrid, Milan, Londres et Hong Kong. Travaillant à partir de 2003 en freelance, il a par ailleurs travaillé pour Egmont, Gemstone, Disney Publishing USA, ainsi que pour Disneyland Paris et l’adaptation en bande dessinée du jeu vidéo Epic Mickey : Le Retour des Héros.
À la faveur d’une dédicace organisée à la librairie Legend BD d’Orléans le samedi 7 avril 2018, Chronique Disney a eu la chance de rencontrer cet artiste de talent qui, avec une grande gentillesse, a accepté de revenir sur sa carrière, son œuvre, sur Mickey évidemment mais aussi ses projets d’avenir.
[Chronique Disney] À quelle époque avez-vous commencé à travailler dans le domaine de la bande dessinée ?
[Fabrizio Petrossi] J’ai commencé en 1992 en Italie. Là-bas, il y a un magazine très populaire qui s’appelle Topolino. J’ai donc commencé à dessiner des histoires de Topolino dans les années 1990. Assez tôt, j’ai été contacté par les studios Disney de Paris qui m’ont proposé de travailler pour eux dans leur filiale Consumer Products. J’ai donc travaillé sur diverses publications, du merchandising comme dessinateur de personnages. J’ai passé dix ans en France. Après, je me suis remis en freelance à la fin de l’année 2003.
[CD] Lorsque vous travailliez pour les studios Disney de Paris, vous viviez en France ou bien étiez-vous encore en Italie ?
[FP] Quand j’ai été embauché par Disney, oui. J’ai déménagé à Paris car j’étais salarié et donc je me devais d’être là. Et après en 2003, je me suis remis en freelance mais je suis resté à Paris. Et dans les studios Disney, je m’occupais de la formation professionnelle sur personnages Disney pour recruter de nouveaux dessinateurs dans les différents bureaux en Europe et en Asie. Il y avait un programme important chez Disney. Il fallait vraiment améliorer la qualité ; cela nécessitait donc de former de nouveaux dessinateurs pour qu’ils puissent travailler sur les produits dérivés et aussi sur les livres. J’ai eu ainsi la chance de participer à ce projet en plus de créer des guides, des style guides, les guides des personnages pouvant être utilisés après dans les livres ou sur les visuels des produits dérivés. Tout ça, c’était à Paris, dans des studios installés Avenue Montaigne. C’était vraiment une super période. Grâce à elle, moi qui venais de la bande dessinée Disney, j’ai pu rencontrer beaucoup de dessinateurs travaillant pour leur part dans l’animation Disney. Cela m’a permis d’explorer différentes manières de dessiner. Après, je suis redevenu freelance et j’ai continué à travailler dans la bande dessinée et l’illustration.
[CD] À l’époque où vous travailliez Avenue Montaigne, les studios Disney de Montreuil existaient encore ?
[FP] Oui, tout à fait. C’était la même période. Disney avait créé le parc en 1992 et ils avaient un programme énorme en France, à Paris, centré sur l’animation, le merchandising et le parc. Tout a été développé en même temps.
[CD] Et donc cela vous a donné l’opportunité de travailler pour le parc à un certain moment.
[FP] Disons que les contacts des gens qui travaillaient sur le parc étaient les mêmes que ceux travaillant dans l’animation. Le monde était le même. Donc finalement, après, en tant que freelance, j’ai commencé à collaborer avec le parc, surtout avec les équipes d’Imagineering. Ce sont les gens qui s’occupent de concevoir les attractions et l’habillage des hôtels, etc. Et on m’a appelé pour faire les illustrations pour la nouvelle attraction du moment, Meet Mickey Mouse – Rencontre avec Mickey. J’ai donc réalisé toutes les illustrations, toutes les affiches que l’on peut découvrir à l’extérieur mais aussi à l’intérieur. C’était un travail très intéressant qui a duré deux ans. Nous avons commencé par chercher les thèmes des films à utiliser. En fait, toutes les affiches placées à l’intérieur du théâtre sont liées aux films projetés dans la file d’attente.
[CD] Tous des classiques comme Nettoyeurs de Pendules, etc…
[FP] Oui, tout à fait. J’ai aussi participé à la création graphique du proscenium de l’intérieur du théâtre. En fait, la designer chargée de travailler sur l’intérieur du théâtre, une Américaine appelée Barbara Wightman, m’avait demandé un côté un peu cartoon que ses équipes n’arrivaient pas à avoir. Elle m’a donc réclamé des croquis, des recherches graphiques. Dans mon idée, j’avais alors pensé mettre des personnages en 3D sur les balcons autour de la scène. Mais finalement, cela n’a pas été possible à cause du poids que cela aurait représenté. On n’a pas pu.
[CD] Lorsque Barbara Wightman vous contacte, elle vous passe commande de quelque chose de précis ou bien avez-vous une certaine liberté ?
[FP] Pour les affiches placées à l’intérieur, nous avons travaillé ensemble avec les designers et la chef du projet. Comme cette dernière avait une grande culture Disney aussi, nous avons fait une sélection des films et nous sommes partis de nos choix. C’était plus simple et j’ai dessiné des représentations de Fantasia, de Mickey à l’Exposition Canine, de Mickey Magicien… Pour les affiches situées sur la façade du théâtre à l’extérieur, nous avons choisi de représenter les performances de Mickey. Dans le lobby, lorsque les visiteurs entrent à l’intérieur, nous avons choisi d’utiliser les personnages les plus connus de l’écurie Disney. Je pense que l’une des meilleures idées fut de faire un clin d’œil à Sarah Bernhardt avec Clarabelle, surnommée Clara Bernhardt. Mais malheureusement, on l’a un peu caché car nous avions peur que les grands chefs de Disney qui venaient vérifier le projet n’approuvent pas. Je l’ai donc réalisé mais on l’a un peu caché car c’est le genre de chose à Disneyland qu’on ne fait pas. Et finalement, l’affiche a été approuvée et nous étions très contents !
[CD] Vous avez aussi participé à la conception de la boutique World of Disney.
[FP] Ce projet-là, comme Meet Mickey Mouse – Rencontre avec Mickey Mouse, a été réalisé pour le vingtième anniversaire de Disneyland Paris. Cela fait cinq ans. Il y avait toute une série de projets à l’époque. Pour la boutique, les designers avaient déjà toute une série de maquettes avec les personnages, etc. Mais ils voulaient encore les améliorer car ils trouvaient que les maquettes étaient trop raides. J’ai donc aidé à les rendre plus « cartoon » en réalisant des croquis. J’ai en particulier dessiné les personnages qui sont dans le ballon ainsi que la fée Clochette placée sur le globe à l’extérieur. J’ai aussi conçu le cyclorama des Tapis volants – Flying Carpets Over Agrabah. Au départ, ce décor était une fresque réalisée à la main au moment où le parc a été construit. Mais celle-ci commençait à se dégrader. Donc avec l’aide des nouvelles technologies, ils ont décidé de faire des impressions gigantesques. J’ai donc re-dessiné le décor en digital avec une perspective légèrement différente. J’ai aussi produit quelques dessins et affiches placées sur les chariots de la boutique Disney & Co. Je les ai réalisés à peu près dans le même style que ceux présentés dans le théâtre de Mickey. Il y a aussi des affiches que j’ai réalisées pour Crush’s Coaster : Avis de Tempête. Elles ont été conçues comme des affiches publicitaires et sont là pour que les gens dans la file d’attente puissent en profiter. Au départ, les Imagineers avaient aussi pensé faire un trompe-l’œil avec une boutique vendant des articles de pêche en haute mer. J’ai fait le dessin mais cela n’a finalement pas abouti. Après, c’est normal chez Disney. Il y a des choses que nous faisons et puis on se rend compte qu’on ne peut pas les utiliser.
[CD] Je repense à World of Disney. C’est vraiment une super boutique. Elle est magnifique.
[FP] Je crois que c’est la plus belle boutique Disney du monde. D’ailleurs, il y a un autre artiste designer dont je ne connais pas le nom qui a fait tous les tableaux représentant les continents avec les bas-reliefs. C’est vraiment un super travail d’équipe de la part d’Imagineering qui fait souvent appel à des sculpteurs et des artistes en freelance comme moi.
[CD] Et aujourd’hui, vous travaillez sur quels projets ?
[FP] Actuellement, je suis en train de travailler pour les éditions Glénat. Elles ont lancé récemment une nouvelle collection avec des créations originales avec des auteurs comme Loisel, Keramidas, Cambonni. Moi-même je suis en train de préparer un album dans la même collection qui va sortir en septembre 2018. Je suis 100% là-dedans et c’est très intéressant car il ne s’agit pas du tout d’une version de Mickey classique. C’est un vrai travail d’auteur entre guillemet.
[CD] Votre bande dessinée entrera donc dans la même collection que Mickey et L’Océan Perdu par exemple ?
[FP] Exactement. Je ne peux pas trop en parler. Je peux juste vous dire que c’est le remake d’une ancienne série qui a eu beaucoup de succès en France. [CD : Depuis l’entretien, le titre et la date ont été dévoilés : il s’agit de Mickey à Travers les Siècles prévu pour septembre 2018.] C’est un super projet car j’ai eu la possibilité de traiter Mickey avec un peu plus de liberté et d’une manière beaucoup plus moderne. C’est très intéressant parce qu’à mon avis, c’est vraiment ce dont on a besoin chez les personnages Disney. C’est génial de pouvoir leur donner un peu plus de personnalité et de rendre leur univers un peu plus actuel. Je fais beaucoup de bandes dessinées pour Disney pour l’Italie, pour Egmont. Mais ce nouvel album est fait dans un esprit totalement différent. C’est écrit par un scénariste appelé Nicolas Dab’s qui est connu pour la collection Tony et Alberto. Nous avons travaillé ensemble très, très bien.
[CD] C’est donc un projet totalement différent du travail que vous faîtes sur le merchandising où là il y a des codes à respecter et où vous ne pouvez pas exactement faire ce que vous voulez.
[FP] Oui. C’est un travail complètement différent. C’est très différent du merchandising et de ce que j’ai fait jusqu’à présent pour Disney en général. En fait, j’ai eu une mission de la part de Disney il y a quelques années, à l’époque où ils ont créé la nouvelle série animée avec Mickey. En même temps, ils nous ont demandé à moi et à d’autres artistes spécialisés dans le merchandising aux États-Unis, nous devions être quatre ou cinq, de faire un restyling de Mickey. Personnellement, j’ai effectué un travail assez important sur le personnage. Nous sommes tous partis du même principe qu’il fallait récupérer le Mickey d’antan avec les yeux noirs.
[CD] C’est-à-dire d’enlever le rond blanc autour de la pupille.
[FP] Oui, oui, tout à fait. Cette décision a été prise parce qu’il fallait revenir en arrière, miser sur la nostalgie. C’est à cette époque qu’ils ont élaboré cette série avec Mickey.
[CD] Avec une apparence totalement différente de ce que nous avons l’habitude de voir.
[FP] Oui, oui. C’était l’idée de base. Le but de mon travail était donc de changer le modèle de Mickey que les visiteurs peuvent croiser dans les parcs d’attractions, ce que l’on appelle chez nous le modèle standard pour lequel il y a un guide qu’on surnomme la Bible qui a été conçu par un immense dessinateur qui s’appelle John Loter avec qui j’ai travaillé aussi. Ce modèle utilise l’image du Mickey des années 1940. Et là, pour cette série, nous avions besoin de changer cela.
[CD] Lorsque vous travaillez pour la bande dessinée, avez-vous accès aux dessins d’animation originaux créés par Fred Moore qui fut notamment l’un des artistes ayant participé à la conception de la nouvelle apparence du personnage de Mickey dans les années 1940 ? Avez-vous eu l’occasion de visiter les archives des studios Disney de Burbank, de manipuler les dessins des grands animateurs de la souris ?
[FP] Quand j’étais chez Disney, j’avais à ma disposition les feuilles de modèles créées par des animateurs comme Moore. Je les ai d’ailleurs encore chez moi sous la forme de photocopies. Des dessins de Fred Moore, de Ward Kimball… Pour moi, c’est la Bible. Il n’y a rien de mieux. Aux États-Unis, il y a eu aussi Gottfredson qui a aussi fait évoluer le personnage. En Italie, après Gottfredson, il y a eu Romano Scarpa qui a continué dans la même lignée. Scarpa a été mon premier maître. J’ai aussi travaillé avec Giovan Battista Carpi qui était le fondateur de l’école Disney en Italie. Scarpa m’a appris énormément de choses. Son dessin était la continuation directe de ce que faisait Gottfredson.
[CD] Romano Scarpa, c’est quelqu’un que vous avez rencontré ?
[FP] Scarpa, je l’ai rencontré, oui. Il était déjà en fin de carrière. C’était à la fin des années 1990, je crois. Mais je n’ai pas eu l’occasion de travailler avec lui.
[CD] Vous venez d’Italie qui est un pays qui s’est beaucoup impliqué dans la création de bandes dessinées Disney. C’est l’un des pays qui a produit le plus d’histoires.
[FP] L’Italie, oui. C’est le pays qui a produit le plus. À partir du moment où les Américains ont arrêté, l’Italie a pris le relais avec au départ Scarpa, Carpi… Après, il y a eu Luciano Bottaro, le dessinateur de Pepito, Massimo De Vita et Giorgo Cavazzano.
[CD] Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a encore énormément de titres qui sortent en kiosque en Italie là où en France, ils se comptent sur les doigts d’une main.
[FP] Oui, tout à fait. Tout ce que vous voyez là (les bandes dessinées éditées en France par Glénat), ce sont des productions italiennes. L’Italie continue donc de produire énormément car il y a beaucoup de dessinateurs là-bas et parce qu’il y a cette école créée par Carpi tout de suite après la fin de la production américaine. C’est d’ailleurs globalement le cas en Europe, en fait. Le continent fournit beaucoup de productions alors qu’aux États-Unis, il n’y a pour ainsi dire plus rien. Il n’y a plus de dessinateur de bandes dessinées chez Disney. On ne voit plus les personnages que dans les parcs d’attractions… C’est bizarre d’ailleurs car le public américain n’a maintenant plus vraiment connaissance de tout ce qui s’est fait en bande dessinée… Même les bandes dessinées de Gottfredson sont plus connues en Italie qu’aux États-Unis désormais. Aux États-Unis, Mickey est devenu un personnage mascotte. C’est vrai que c’est étrange.
[CD] Pourtant les comics de Floyd Gottfredson sont réédités depuis quelques années.
[FP] Oui, ils ont fait des rééditions. La licence a été reprise par IDW. Pour eux, il m’arrive de faire des couvertures. Mais tout le matériel qu’ils ont, ce ne sont que des réimpressions. Il n’y a plus qu’en Europe qu’il y a encore des productions originales. Et surtout, il y a encore beaucoup de lecteurs qui sont toujours aussi passionnés par ça. En France notamment.
[CD] Entre la création de vos bandes dessinées Disney et vos activités en freelance, à quel moment faîtes-vous la connaissance de Warren Spector avec lequel vous travaillez sur Epic Mickey : Le Retour des Héros ? Comment la rencontre s’est elle produite ?
[FP] C’est simple, en fait. Le bureau italien de Disney a un rôle global dans la production de bandes dessinées. Étant donné que c’est là que sont produites la majorité des histoires, ils ont un grand rôle dans la réalisation d’adaptation de films. C’est Disney Italie, en partenariat avec Disney États-Unis, qui m’a demandé de faire un deuxième tome d’Epic Mickey. Mais en vérité, la rencontre avec Warren Spector s’est faite d’une autre manière. Lorsqu’il y a eu la présentation du jeu vidéo, on m’a demandé de participer à un événement pendant lequel j’ai montré à la presse comment dessiner les personnages. Warren était là. C’est un grand fan de Disney. Il m’a vu dessiner. Il m’a félicité. Nous sommes allés dîner ensemble et nous sommes devenus amis. Quelque temps après, j’ai eu la commande de ce second volume d’Epic Mickey et j’ai appelé Warren. Il m’a dit qu’il était très content que ce soit moi qui le fasse.
[CD] Comment s’est passée la création de cet album ?
[FP] Warren Spector m’a aidé énormément. Car en fait, le problème était que le jeu vidéo n’était pas encore terminé. Disney, c’est une grande machine. Le projet impliquait la maison d’édition Disney mais aussi la maison de production du jeu. Il était donc parfois difficile d’avoir les références du jeu. Pour une scène, j’ai par exemple dessiné un dragon. J’ignorais à quoi il devait ressembler. Et bon, ça n’allait pas. Warren m’a donc mis en contact avec son équipe pour obtenir les références. Pour moi, quand on fait ce genre de boulot, il faut interpréter. Mais en même temps, il faut rester fidèle au jeu vidéo. Il ne faut pas créer autre chose n’ayant rien à voir avec le jeu. La personne qui connaît le jeu serait déçue, sinon.
[CD] Et donc, finalement, en œuvrant sur Epic Mickey : Le Retour des Héros, vous avez pu travailler sur de très vieux personnages comme Oswald et les Gremlins qui avaient disparu des radars depuis des décennies.
[FP] Les Gremlins, en effet, on a dû les voir deux ou trois fois sur des couvertures d’albums. Très peu en fait.
[CD] Ce sont des personnages des années 1940. On est en pleine Seconde Guerre mondiale lorsqu’ils sont créés par les équipes de Disney.
[FP] Oui. Personnellement, je ne les ai pas travaillés à partir de la bande dessinée. J’ai travaillé à partir des références en 3D réalisées par les concepteurs du jeu. Beaucoup de gens intéressants ont travaillé sur Epic Mickey : Le Retour des Héros. Parmi eux, il y avait en particulier mon ancien boss, celui qui m’avait embauché chez Disney, Carson Van Osten. Il nous a malheureusement quitté il y a deux ans… C’est l’une des Disney Legends. Carson avait travaillé avec Floyd Gottfredson. Tous les deux étaient dans le même bureau. Il a conçu quelques pages de bandes dessinées pour les journaux du dimanche aussi. Et ensuite, il s’est spécialisé dans le merchandising, dans les produits dérivés. C’était un génie. Lui aussi a travaillé sur Epic Mickey. Il a fait des dessins d’Oswald, du Mad Doctor. Il a créé les modèles. Il a beaucoup collaboré avec Warren Spector. Si vous achetez le livre making-of d’Epic Mickey, vous pouvez voir ces dessins.
[CD] Une bande dessinée comme Epic Mickey : Le Retour des Héros, cela représente combien de temps de travail ?
[FP] Epic Mickey : Le Retour des Héros, c’était quarante-huit pages. Je l’ai fait en quatre mois et demi, presque cinq mois. Le planning était très serré. Je ne devais pas m’endormir. Mais en général, pour les bandes dessinées conçues pour les magazines, nous avons un délai d’un ou deux mois, pas plus.
[CD] C’est en effet un timing très serré.
[FP] Pour trente pages, nous avons un délai de deux mois de travail. Soixante jours. C’est très serré, oui. Après, tout peut être discuté, bien sûr.
[CD] Pendant notre discussion, je vous ai vu dessiner Mickey, Donald, Daisy, Minnie, Dingo, Pluto… Lequel d’entre eux est votre préféré ?
[FP] Mon personnage préféré, c’est pour moi le plus difficile à dessiner. C’est Mickey. C’est mon préféré car lorsque j’ai commencé à travailler chez Disney, c’était sur des histoires de Mickey. J’aime bien les histoires de Mickey car elles sont différentes de celles de Donald. C’est un autre type d’histoires. Donald, c’est plus de la comédie. Celles de Picsou, c’est plus de l’action et de l’aventure. À l’époque où j’ai commencé, j’étais passionné par les récits de Scarpa. Et le Mickey de Scarpa, c’est celui qui me plaisait le plus. Donc j’ai commencé avec lui. Après, j’ai approfondi. J’ai étudié le Mickey de Fred Moore, de Ward Kimball… Je me suis spécialisé mais après, je dessine tous les autres personnages aussi. Mais j’ai plus d’affinités avec Mickey. Peut-être aussi parce que Mickey, c’est Disney.
[CD] Walt Disney lui prêtait d’ailleurs sa voix au départ.
[FP] Oui, au départ, c’était lui qui lui donnait sa voix. C’était son bébé. Surtout, c’est un personnage très différent des autres. Les histoires de Gottfredson, c’étaient de vraies aventures. Ce sont des histoires qui restent. Comment l’expliquer ?… Ce sont des histoires dont on se souvient tout le temps. Elles ont marqué mon enfance. Les histoires de Carl Barks, ce sont aussi de belles histoires, mais j’ai l’impression que la famille des canards, c’est quand même différent. Il y a parfois moins d’aventures. Il y a plus de comédie. Ce sont parfois des histoires très courtes alors que Gottfredson faisait des histoires très longues. C’est pour cela que Mickey est pour moi un symbole. Gottfredson et Mickey Mouse sont ceux qui m’ont fait rêver le plus. On est loin du Mickey des parcs qui fait comme ça ! [CD : Fabrizio Petrossi mime Mickey en train de saluer la foule]. C’est parfois un problème. Il m’arrive de faire des interventions auprès des designers du parc. Et certains de temps en temps ne connaissent pas l’histoire du personnage. Ils ne connaissent que le Mickey du parc. C’est dommage car ce qui fait un personnage, c’est son histoire. Malheureusement, Mickey est devenu une icône, tout simplement.
[CD] Walt Disney l’avait d’ailleurs regretté déjà à l’époque. Que Mickey soit devenu avec les années une icône à laquelle on ne pouvait plus vraiment toucher.
[FP] C’est pour cela que les gens préfèrent Donald. Il est plus caractériel. Il est possible de faire plus de choses avec lui. Il est toujours énervé, même si là encore, c’est souvent un cliché. Les scénaristes ont vraiment un problème avec Mickey. Ils ne savent pas toujours quoi en faire. C’est pour ça que pour la bande dessinée que je suis en train de faire pour Glénat, je me suis posé la question « Qui est Mickey ? ». Je suis donc allé voir les cartoons des années 1930 faits par Ub Iwerks. Je voulais voir l’esprit du personnage. Mickey, à la base, c’est un personnage coquin. Ce n’était pas un héros savant, sachant tout sur tout. C’était un coquin vivant l’aventure comme un enfant, parfois malgré lui. Les gens ont commencé à l’aimer car il y avait un processus d’identification avec le personnages ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
[CD] En ce moment, avez-vous un coup de cœur, un artiste, une bande dessinée qui vous plaît vraiment beaucoup et que vous souhaiteriez conseiller à nos lecteurs.
[FP] Un artiste Disney ou pas Disney ?
[CD] Comme vous voulez. Pas forcément un artiste Disney, non.
[FP] C’est une question compliquée. Je lis beaucoup d’autres bandes dessinées. Mais je n’ai pas de préférence particulière pour un artiste. En général, j’ai une préférence pour des albums qui m’ont touché plus que d’autres. Je pense que Juanjo Guarnido fait un travail sublime. J’aime ce que fait François Boucq. En Italie, j’aime beaucoup Corrado Mastantuono. C’est un artiste qui n’est pas connu en France mais qui a la capacité de passer de Disney au dessin réaliste d’une manière géniale. Tous ces artistes m’inspirent beaucoup. Mais il y en aurait tant d’autres. J’aime beaucoup les vieux artistes. Je suis passionné par Uderzo. Pour moi, Albert Uderzo est ma référence. C’est l’un des seuls dont l’univers n’est pas encore dépassé.
[CD] Avez-vous eu la chance de le rencontrer ?
[FP] Non, malheureusement. C’est un grand regret parce que vraiment, c’est un artiste qui, lorsque j’étais gosse, m’a beaucoup marqué. Même dans la manière de raconter des histoires…
[CD] En dehors de Disney, dans quels projets avez-vous été impliqué ?
[FP] Actuellement, je travaille aussi pour Nickelodeon. Je fais par exemple des livres avec Bob l’Éponge. Je fais aussi des livres de La Pat’ Patrouille pour la collection des Little Golden Books. Je travaille régulièrement avec eux. Après, j’ai eu d’autres expériences, entre autres, j’ai travaillé avec Lorenzo Mattotti sur le film Pinocchio. Les créateurs avaient besoin d’un dessinateur Disney pour faire en sorte que les personnages soient animables. Et donc le réalisateur italien Enzo D’Alò m’a appelé et j’ai travaillé avec lui sur ses personnages pour les rendre plus ronds pour l’animation.
[CD] Et animer vous-même, cela vous a-t-il déjà tenté ?
[FP] J’aurais aimé parce que j’aime beaucoup les personnages. J’ai la technique pour. Mais malheureusement, je n’en ai pas eu l’occasion, non. Et puis, aujourd’hui, avec la 3D, je dois dire que cela m’intéresse un peu moins. Pour nous, les dessinateurs Disney, l’animation c’était le maximum que nous pouvions espérer en termes de carrière. Mais aujourd’hui, c’est moins un travail de dessinateur qu’auparavant. En 3D, il y a bien sûr toujours la possibilité de participer à la pré-production avec la conception des personnages. Les animateurs de films 3D, d’après ce que j’ai vu, ce sont plus des acteurs qui peuvent faire bouger les personnages avec des logiciels. Et finalement, ce ne sont plus vraiment des dessinateurs. Il n’y a plus le dessin comme on l’a connu.
[CD] Beaucoup pensent comme vous, je crois.
[FP] Oui. Surtout les anciens ! Après, quand je vois les films Pixar, je vois la façon dont les personnages bougent. Les animateurs sont des gens ayant de grandes capacités pour imaginer les déplacements, les mouvements des protagonistes. Parce que le logiciel ne fait pas tout non plus. Il faut beaucoup d’imagination, surtout quand il ne s’agit pas de personnages humains. À la base, ces gars sont des gens qui savent quand même dessiner.
[CD] Lorsque vous avez travaillé à Paris pour Disney, vous avez dû rencontrer des artistes aussi talentueux que Glen Keane qui faisait partie des équipes des studios de Montreuil.
[FP] Glen Keane, je l’ai effectivement rencontré parce qu’à l’époque où j’étais dans les studios Disney à Paris, il était en charge de Tarzan. Des fois, il venait visiter nos studios parce que sa fille, Claire, était en stage chez nous. Je l’ai très bien connue. Avec l’équipe, on est allé souvent déjeuner. Elle était très jeune à cette époque. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
[CD] C’est en effet une superbe artiste. Ce qu’elle fait est formidable.
[FP] C’est vrai. Mais à l’époque, elle était jeune et elle ne nous avait pas encore montré toutes ses qualités. Quand j’ai vu son nom, Claire Keane, je me suis dis « non, c’est la Claire que j’ai connue ? ». Et c’était elle ! Et une fois, Glen Keane est passé chez nous. Il s’est arrêté à mon poste et j’avais devant moi la séquence d’animation de The Little Whirlwind…
[CD] Le Tourbillon, oui. Avec Mickey.
[FP] Et lorsque Glen a vu ça, il m’a dit « tu sais, ça, c’est ce que je fais étudier aux nouveaux animateurs aujourd’hui ».
[CD] C’est une séquence créée par Fred Moore.
[FP] Fred Moore, oui. Cette séquence, Glen Keane me disait que grâce à elle, on apprend tout de l’animation. C’est vrai que c’est une super séquence. Le film est génial.
[CD] C’est de l’animation un peu caoutchouc ou les personnages se déforment en fonction de leurs mouvements et de l’action.
[FP] Je crois qu’il y avait aussi Kimball dessus.
[CD] C’est très possible en effet que Kimball ait travaillé sur ça aussi, oui.
[FP] Parmi les animateurs actuels, j’aurais aimé rencontrer Andreas Deja. Ce modèle de Mickey (l’artiste ouvre son portfolio) a été travaillé dans les années 1980-90 pour Mickey Perd la Tête.
[CD] Andreas Deja avait travaillé sur Le Prince et le Pauvre aussi.
[FP] Le Prince et le Pauvre, oui. Quelque part, Deja a apporté sa contribution au personnage de Mickey. Le modèle avait été un peu changé dans les années 1950, à l’époque de The Simple Things notamment. Il y a eu beaucoup de stylisation.
[CD] Mickey à la Plage, oui. C’était son dernier court-métrage à l’époque. Le dernier de sa série. C’est vrai qu’on était très loin de sa première apparence.
[FP] Oui, oui.
[CD] Et donc, là, ce que vous expliquez, c’est que Disney est en train de revenir au point de départ, au premier graphisme de Mickey.
[FP] Oui. Ils exploitent ce côté vintage, un choix qui ne peut pas marcher partout. Moi, le Mickey que j’ai fait pour mon album, je me suis inspiré des deux, le Mickey actuel et le Mickey d’avant. Je l’ai pensé au départ avec les yeux noirs. Et puis je me suis dit que ça ferait un peu vieux alors j’ai replacé les orbites autour. C’est Ward Kimball qui avait eu cette idée de l’ovale blanc autour de la pupille noire. C’était dans The Pointer.
[CD] Dans Chien d’Arrêt, oui.
[FP] C’était plus une blague d’ailleurs au départ.
[CD] Fred Moore est le premier à l’avoir suggéré. Kimball et lui restent vraiment deux animateurs exceptionnels.
[FP] Disney disait que son meilleur animateur, c’était Ub Iwerks. C’était lui le premier. Fred Moore était sûrement le plus grand, mais il n’est pas parvenu à progresser. Les autres, les Nine Old Men notamment, ont fait une progression incroyable. Mais Moore est resté dans le passé.
[CD] Sa fin de carrière a d’ailleurs été très compliquée. Sa vie ne s’est pas très bien terminée. Elle s’est finie brutalement avec un penchant pour l’alcool et un accident de voiture mortel.
[FP] Oui… Pour moi, Fred Moore était un génie.
[CD] Il a fait des choses formidables, c’est vrai. La séquence de L’Apprenti Sorcier…
[FP] Preston Blair a aussi travaillé sur cette séquence. Fred Moore était comme Ward Kimball un artiste génial.
[CD] Walt Disney disait que Kimball était un génie. Et c’est vrai que quand on voit ce qu’il a animé…
[FP] On parle des Dieux de l’Olympe ! Le dernier, je crois que c’est Glen Keane.
[CD] Merci beaucoup Fabrizio. Je vous ai regardé dessiner pendant que vous répondiez à mes questions, et je dois dire que c’est stupéfiant. C’est presque hypnotique et on pourrait vous regarder dessiner pendant des heures.
[FP] Ce fut avec plaisir.